Environ quarante personnes sont réunies, parmi lesquelles une quinzaine d’élues et élus municipaux issues et issus de Mad Mars.
Pour commencer, à partir d’une référence au Gorgias, de Platon, et de l’évocation des figures symétriques de Calliclès (politicien ambitieux, cynique, amoral, démagogue) et de Socrate (citoyen considérant le fait de participer aux institutions politiques comme un compromis inacceptable, et préférant, pour améliorer la Cité, pratiquer la maïeutique), deux problématiques sont posées.
L’une concerne les élus : comment ne pas être accaparé par les rapports de force et les « éléments de langage », jusqu’à oublier l’intérêt général et les engagements initiaux ?
L’autre concerne les non élus (par exemple, les adhérents de Mad Mars sans mandat électif) : comme prendre conscience des résistances du réel et de sa complexité, et donc ne pas porter un jugement trop hâtif, globalisant et réducteur sur l’action de la municipalité ?
Dans les deux cas, il existe un risque de dépolitisation – si l’on entend le terme « politisation » dans son sens le plus noble. Or l’objectif de Mad Mars, depuis le début et aujourd’hui encore, consiste au contraire à impliquer le plus de monde possible dans la vie de la Cité.
Le débat, dont quelques éléments vont être évoqué dans ce compte-rendu, a laissé une large place à la parole des élues et élus, chacun racontant la manière qui a été la sienne d’endosser ses nouvelles responsabilités. Plusieurs évoquent la continuité : c’est parce qu’ils étaient déjà engagés (dans des associations, des collectifs, etc.) qu’ils ont souhaité, en se portant candidat, aller plus loin dans l’implication. Les savoirs et savoir-faire militants prennent sens dans le travail d’élu – une analogie est faite avec le film Slumdog Millionaire, de Danny Boyle. Mais, s’il existe certes une forme de continuité, c’est le thème de la rupture qui revient le plus souvent. Les nouvelles et nouveaux élus ont rapidement du apprendre à tenir compte de différents types de complexités, à l’instar de celles concernant les réglementations qui encadrent l’action politique, ou de celles qui touchent aux relations polymorphes (entre élus Mad Mars, entre mairies de secteur et mairie centrale, avec les élus issus des partis politiques, avec les citoyens, avec les agents municipaux, avec les opposants politiques, etc.) que l’on doit entretenir. L’expression « être un trait d’union » revient dans plusieurs prises de parole d’élues et élus.
Cette complexité pose problème dans la relation entre élus et citoyens. Si les élus disent « c’est très complexes, si vous saviez… », ils peuvent être soupçonnés de cultiver le mystère et l’opacité, et d’éviter la reddition de comptes. Et pourtant la technicité de certains dossiers et la multiplicité des enjeux sont tels qu’on ne peut les expliciter à des gens ne disposant pas d’un certain nombre de connaissances préalables. Le problème est alors de parvenir à simplifier sans pour autant distordre l’information.
Du point de vue de la subjectivité, le fait d’être élu peut produire un effet paradoxal. L’ego peut certes être flatté et enorgueilli : on est fier d’avoir gagné, et de se voir confier des responsabilités. Mais, par ailleurs, le fait de « ne plus s’appartenir » est évoqué, d’une part parce que l’on a peu de maîtrise sur son agenda, mais surtout parce que l’on se doit de faire partie d’un tout, d’un ensemble. Être élu suppose de ne plus vraiment pouvoir parler en son seul nom propre. Comment alors rester soi-même tout en assumant l’ensemble de la politique municipale, sur laquelle chacun, individuellement, a peu de prise ?
Une référence au très bon film La Cravate d’Étienne Chaillou et Mathias Thery est faite en écho de l’évocation, par un élu, de l’évolution de son style vestimentaire liée à ses nouvelles fonctions.
Plusieurs interventions convergent sur l’idée que si l’on ne s’efforce pas de faire avec les citoyens, on n’arrive à rien de satisfaisant (référence est faite notamment à « Hip Hop Non Stop »).
Des participants non élus évoquent une forme de déception. S’ils se sont engagés avec Mad Mars puis avec le Printemps marseillais, c’est qu’ils espéraient que les citoyens seraient davantage impliqués. Or, pour l’instant, ce n’est pas très perceptible. Ils aimeraient que les élus madmarsiens les sollicitent davantage, afin tout à la fois de soutenir et de surveiller l’action de ceux qui sont en responsabilités – car une certaine dose de méfiance est nécessaire, à condition que cette méfiance soit méthodique et pas seulement émotionnelle. Mad Mars se doit d’être l’une des structures qui peuvent permettre à la politique institutionnelle de sortir du halo de mystère et de magie qui l’entoure, halo qui peut susciter aussi bien la fascination que le dégoût.
La figure du rhizome est évoquée : par capillarité, chaque adhérent de Mad Mars pourrait inciter des proches – voisins, amis, parents, collègues – à s’intéresser davantage à l’action municipale, à lire les compte-rendus des conseils municipaux (voire à les regarder en ligne), à aller à la rencontre des élus, à participer aux consultations, à proposer des idées, etc. Ce serait une action certes modeste mais qui, si chacun s’y emploie, pourrait contribuer à tisser des réseaux d’engagement et de reddition de comptes. Il faudrait notamment réfléchir ensemble à des manières accessibles, tout à la fois « accrocheuses » et problématisées, de médiatiser certaines des décisions marquantes du Conseil municipal. Nous pourrions aussi relancer les « réunions d’appartement », qui ont constitué des moments forts de la campagne électorale, en tentant d’étendre cette pratique à d’autres milieux sociaux et d’autres quartiers que ceux de l’électorat de base du PM.
Si cette réunion présente un intérêt pour celles et ceux qui y participent, certains constatent qu’elle aurait, en tant que telle, peu de chance de mobiliser l’attention de la plupart de nos concitoyens, notamment de nombre de jeunes qui se sentent très éloignés du « monde de la politique ». Une fois encore, nous sommes, en ce 2 décembre 2021, dans un certain entre-soi. Si nous voulons toucher d’autres types de personnes, il nous faudra faire preuve de davantage d’imagination et de créativité.
C’est aussi d’imagination dont il est question lorsque certains réclament des initiatives audacieuses, de la part des élues et élus madmarsiens, en matière de contact avec les citoyens et de démocratie délibérative et contributive. On peut comprendre qu’il ait fallu quelques mois pour que chacun des néo-élus prenne ses marques mais, à présent que presque deux ans sont passés, il convient de se montrer exigeant. La victoire du Printemps marseillais a été le résultat d’un élan inédit et « sans précédent », elle à suscité l’intérêt de la France entière, il serait déprimant que les promesses de renouvellement des pratiques (même si l’on tient compte de l’aspect très perfectible de nos institutions) ne soient pas tenues.